Les solutions économiques et financières « innovantes » pour la résilience des écosystèmes océaniens doivent être mises à l’épreuve de l’action
RESCCUE un projet qui met à profit les connaissances et le savoir-faire des communautés locales de Nord Efate, Vanuatu, pour mieux gérer les ressources côtières
La protection et la restauration des écosystèmes font partie des priorités affichées des acteurs océaniens pour lutter contre le changement climatique et s’adapter à ses impacts. Or, la faiblesse relative des financements aujourd’hui accordés à la protection de la biodiversité, associée à son érosion continue, appellent sans cesse de nouvelles approches, innovantes et pragmatiques.
Nombreuses et hétéroclites, ces approches ont généralement en commun leur supposée adaptation aux contraintes économiques et financières dominant de façon croissante le monde de l’action. Elles se trouvent donc le plus souvent au carrefour de l'écologie et de l'économie – cette dernière apparaissant à beaucoup comme la science de la rationalisation de l'action par excellence.
Parmi ces approches dont la mise en œuvre et l’utilisation sont souvent perçues comme des solutions innovantes au problème de l’érosion de la biodiversité, on peut citer par exemple :
- l’approche par les services écosystémiques, dont on admet volontiers qu’ils n’ont pas toujours un lien évident avec la biodiversité et traduisent une vision utilitariste de la nature, mais proposent une base pragmatique de discussion avec les responsables politiques, le secteur privé et le grand public ;
- l’évaluation économique de ces services, dont même les plus fervents défenseurs admettent les nombreuses limites, mais qui peut permettre d’intégrer des bénéfices et coûts monétaires, jusqu’ici cachés car non mesurés, dans les décisions importantes en termes de développement ;
- les instruments de marché et autres mécanismes de financement innovants (paiements pour services écosystémiques, compensation écologique etc.), dont on constate aisément qu’ils demeurent mal identifiés, comportent des risques et n’ont pas fait la preuve de leur efficacité, mais qui permettent d’entrevoir un avenir moins dépendant des finances publiques ;
- le « triage » dans les éléments de la biodiversité à sauver, qui invite à une optimisation globale de l’allocation des financements pour la biodiversité (en délaissant par exemple le maquis minier de Nouvelle-Calédonie au profit des forêts du Vanuatu, ou les récifs coralliens de tel pays au profit de ceux d’un autre pays où la protection est plus efficiente). Un mécanisme certes choquant pour beaucoup de conservationnistes profondément attachés à la biodiversité mais preuve de lucidité et étape inévitable dans l’optimisation de l’allocation des ressources, pour certains experts.
Les débats très vifs générés par ces approches économiques et financières conçues comme innovantes et pragmatiques mettent le plus souvent face à face les tenants revendiqués du « réalisme » d’un côté et ceux d’une certaine éthique de la nature de l’autre. Ils s’affrontent alors sur des positions de principe.
Pourtant – et sans nier les vertus de ces débats – il paraît aujourd’hui crucial de porter davantage la discussion sur le terrain même du pragmatisme, par la confrontation de ces approches aux réalités du terrain. Si la « boîte à outils » économique et financière apparaît encore innovante à défaut d’être nouvelle, notamment dans le Pacifique, c’est parce qu’incontestablement elle n’a pas encore atteint le stade de maturité nécessaire à son appropriation par les acteurs concernés, et à son intégration pleine et entière aux politiques publiques et dispositifs de gestion. Cette maturité passe désormais avant tout par une mise à l’épreuve de l’action.
C’est la logique du projet RESCCUE qui vise à accroître la résilience des sociétés et écosystèmes océaniens face au changement climatique par la mise en œuvre de la gestion intégrée des zones côtières. Outre ses réalisations concrètes sur différents sites pilotes, ce projet, mis en œuvre par la CPS sur des financements de l’AFD et du FFEM, vise aussi un apprentissage collectif régional par l’expérience et l’innovation.
Les premiers retours du terrain, de Fidji à la Nouvelle-Calédonie en passant par la Polynésie française et le Vanuatu, donnent déjà des indications assez précises quant à la validité des hypothèses sous-tendant en particulier la promotion des services écosystémiques et de leur évaluation économique dans le contexte spécifique des sociétés insulaires océaniennes. En fonction des sites considérés, la complexité des processus écologiques, le manque cruel de données, ou encore la faible densité de population associée à une économie de subsistance peuvent représenter des défis de taille pour un recours accru à l’analyse économique comme levier d’une meilleure intégration des préoccupations environnementales aux principales décisions déterminant les trajectoires de développement.
De même, le projet est en passe de fournir des informations très concrètes quant aux conditions dans lesquelles le déploiement de mécanismes économiques et financiers « innovants » peut réellement venir appuyer les politiques de protection de la biodiversité et d’adaptation au changement climatique. La question des coûts de transaction rapportés aux financements effectivement générés, apparaît notamment de plus en plus prégnante à mesure que la multiplication des expériences pilotes incite à examiner la perspective d’un changement d’échelle dans la mise en œuvre de ces mécanismes.
Un changement d’échelle, de l’expérience à la pratique de routine, qui demeure l’ultime épreuve de vérité pour toute approche innovante.