Évaluation des holothuries à Pohnpei : la CPS prête main-forte aux États fédérés de Micronésie

Nouméa

Ryan Ladore, du Bureau des pêches et de l’aquaculture, parcourt un transect tiré dans le benthos récifal (crédit photo : Pauline Bosserelle)

L’holothurie est une ressource précieuse pour les États et Territoires insulaires océaniens. Toutefois, en raison de la forte demande mondiale – et surtout asiatique – de bêche-de-mer, ainsi que d’un manque d’efficacité en matière de gestion, son exploitation a connu des excès dans bon nombre d’entre eux. À Pohnpei (États fédérés de Micronésie), la pêche est interdite depuis le début des années 1990. Toutefois, plusieurs voix se sont élevées récemment en faveur de sa réouverture

La pêche à l’holothurie à Pohnpei : repères

La pêche commerciale à l’holothurie aux États fédérés de Micronésie a débuté à la fin du XIXesiècle, et les captures ont été très importantes jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. L’État de Pohnpei était l’un des principaux acteurs de ce secteur, exportant en 1941 près de 90 tonnes (poids humide) d’holothuries (Smith 1992). La guerre n’a pas apporté de répit aux holothuries de Micronésie ; en effet, les populations ont été décimées durant cette période, car de nombreux soldats stationnés aux États fédérés de Micronésie manquaient de vivres, et capturaient donc ces animaux pour améliorer leur ordinaire (Kinch et al. 2008). Une fois la paix revenue, l’exploitation commerciale a perduré jusqu’à la fin des années 1980 et au début des années 1990, mais les captures et les exportations au cours de cette période n’étaient que très peu réglementées et documentées. Au début des années 1990, le gouvernement de l’État de Pohnpei s’est rendu compte que les réserves étaient épuisées et, en 1991, le Sénat a imposé un moratoire sur les exportations. Toutefois, la capture de certaines espèces, telles que l’holothurie curry brune, l’holothurie curry, l’holothurie dragon, l’holothurie de sable, l’holothurie bouteille grise et l’holothurie bouteille rouge, est autorisée dès lors que les animaux sont destinés à l’autoconsommation ou vendus sous forme de produits transformés – notamment viscères et tégument coupé en lanières vendus sur les marchés locaux.

Réouverture d’une journée en 2016

En 1996, plus de vingt ans après l’imposition du moratoire, le Bureau des pêches et de l’aquaculture de l’État de Pohnpei a décidé d’autoriser à nouveau la pêche à l’holothurie. De nombreux acteurs du secteur se sont élevés contre cette décision et ont porté l’affaire en justice, arguant du manque de preuves scientifiques de la reconstitution des stocks ainsi que de l’absence de plan de gestion ou de stratégies de capture pour la pêcherie. Après une seule journée de pêche, les tribunaux ont imposé des mesures conservatoires de protection, interdisant toute capture d’holothuries jusqu’à ce qu’une évaluation rigoureuse des populations à Pohnpei ait été réalisée, et qu’un plan de gestion ait été mis au point.

La Direction des ressources et du développement (DRD) des États fédérés de Micronésie a ainsi fait appel à l’aide et à l’expertise technique de la Division pêche, aquaculture et écosystèmes marins de la Communauté du Pacifique (CPS).

Formations et inventaires en plongée

Plusieurs agents de la Division se sont rendus à Pohnpei en mai 2017 afin d’assurer des formations et de diriger l’évaluation des holothuries. Avant le début des inventaires en plongée, une formation a été dispensée au Bureau des pêches et de l’aquaculture de Pohnpei afin d’expliquer les méthodes de recensement sous-marin des invertébrés et d’identification des espèces élaborées par la CPS. Le recensement a été effectué autour de Pohnpei et de l’atoll Ant par des agents de la CPS, du Bureau des pêches et de l’aquaculture, de la Division des ressources et du développement (DRD) de l’État de Pohnpei ainsi que de la DRD des États fédérés de Micronésie. Ce travail d’échantillonnage visait à couvrir tout un éventail d’habitats au sein de zones marines protégées et à l’extérieur de celles-ci. Dans la mesure du possible, les stations ont été placées au plus près des sites de la précédente évaluation, réalisée en 2013 par le Bureau des pêches et de l’aquaculture, la DRD des États fédérés de Micronésie et la CPS. Tous les grands invertébrés ont été comptés, mesurés si possible et enregistrés à l’aide de plusieurs méthodes : « Manta Tow» et transects tirés dans le benthos récifal, sur les fonds meubles et sur le front récifal.

Résultats des inventaires

La zone de l’étude de 2017 couvrait plus de 250 km2 . Plus de 23 000 individus, appartenant à 7 genres et à 24 espèces d’holothuries, ont été recensés (tableau 1). L’holothurie lolly (Holothuria atra) représentait l’espèce dominante, avec près de 69% des animaux observés. Parmi les autres espèces fréquemment rencontrées, on peut citer l’holothurie rose, l’holothurie verte, l’holothurie serpent, l’holothurie léopard et l’holothurie des brisants.

Pour toutes les espèces, à l’exception de l’holothurie rose sur le platier récifal et la frange littorale, ainsi que de l’holothurie des brisants sur la crête récifale, la densité de population s’est révélée inférieure aux densités régionales de référence pour des stocks en bonne santé définies dans Pakoa et al. (2014). La densité des espèces à forte valeur marchande, comme l’holothurie blanche à mamelles et l’holothurie de sable, a même atteint un niveau critique. Une comparaison de la présente étude et d’une autre étude réalisée récemment par le Collège de Micronésie (Bougoin and Pelep2017) avec l’évaluation de2013 a mis en évidence une baisse de la densité des populations d’holothuries léopard, d’holothuries de sable brunes, d’holothuries noires à mamelles, d’holothuries noires, d’holothuries des brisants, d’holothuries de sable et d’holothuries de sable à taches. La longueur moyenne des individus de la plupart des espèces était inférieure aux longueurs régionales moyennes, ce qui montre que les populations d’holothuries de Pohnpei étaient majoritairement composées de juvéniles et de sub-adultes.

Des estimations des stocks et des quotas ont été calculés pour les holothuries roses et les holothuries des brisants, qui présentaient une densité de population supérieure aux valeurs de référence pour la région. La population d’holothuries roses a en effet été estimée à 1 769 941 individus, pour un stock exploitable (30 % de la population adulte) de 39717individus, soit tout juste en dessous de 0,5 t (poids sec).

Tableau 1. Espèces d’holothuries recensées à Pohnpei et sur l’atoll Ant au cours du comptage en plongée réalisé en mai 2017

Nom vernaculaire Nom scientifique Nbre
d’individus
Proportion (en %)
du nbre total
d’individus observés
Holothurie lolly Holothuria atra 15,968 68.8
Holothurie rose Holothuria edulis 2,788 12.0
Holothurie verte Stichopus chloronotus 1,117 4.8
Holothurie serpent Holothuria coluber 725 3.1
Holothurie léopard Bohadschia argus 668 2.9
Holothurie des brisants Actinopyga mauritiana 473 2.0
Holothurie curry Stichopus herrmanni 291 1.3
Holothurie curry brune Stichopus vastus 282 1.2
Holothurie ananas Thelenota ananas 173 0.7
Holothurie contractile Holothuria hilla 162 0.7
Holothurie trompe d’éléphant Holothuria fuscopunctata 154 0.7
Holothurie fleur Pearsonothuria graeffei 136 0.6
Holothurie noire à mamelles Holothuria whitmaei 95 0.4
Holothurie serpent rouge Holothuria flavomaculata 83 0.4
Holothurie noire Actinopyga miliaris 32 0.1
Holothurie de sable brune Bohadschia vitiensis 22 0.1
Holothurie brune des
profondeurs
Actinopyga echinites 15 0.1
Holothurie géante Thelenota anax 13 0.1
Holothurie blanche à mamelles Holothuria fuscogilva 7 <0.1
Holothurie de sable Holothuria scabra 7 <0.1
Holothurie noire profonde Actinopyga palauensis 6 <0.1
Holothurie de sable à taches Bohadschia similis 3 <0.1
Holothurie caillou Actinopyga lecanora 1 <0.1
Synapte maculée Synapta maculata 1 < 0.1

Quant à l’holothurie des brisants, sa population a été estimée à255 354 individus, pour un stock exploitable de 11 859 individus, soit tout juste au-dessus de 0,5t (poids sec). Une analyse préliminaire des coûts et des avantages a révélé que, pour la plupart des parties en présence, l’exploitation de ces deux espèces ne serait pas viable sur le plan économique.

Atelier pour les acteurs du secteur

Le 26 mai 2017, au terme des inventaires en plongée, un atelier réunissant les acteurs du secteur de l’holothurie a été organisé par la CPS, le Bureau des pêches et de l’aquaculture et la DRD des États fédérés de Micronésie dans la salle de conférences du Gouverneur de l’État de Pohnpei. Cet événement a réuni plus de 30 personnes, et notamment des responsables des ressources au sein du gouvernement national et de l’État, des représentants d’organisations non gouvernementales, des responsables communautaires et des chefs.

Son objectif consistait avant tout à présenter les premiers résultats des inventaires réalisés à Pohnpei et sur l’atoll Ant, ainsi qu’à discuter d’une éventuelle exploitation commerciale des holothuries de la zone à des fins d’exportation, de la gestion des captures d’holothuries, ou encore des stratégies de suivi des populations. Les participants ont pu assister à deux présentations. La première, réalisée par la CPS, montrait les résultats préliminaires de l’étude.
La seconde, qui mettait l’accent sur la saison de capture 2016 et les stratégies de gestion adoptées, a été effectuée par le Bureau des pêches et de l’aquaculture. À l’issue de ces interventions, les participants se sont répartis en groupes de travail afin d’exprimer leurs points de vue sur la saison 2016 et le dispositif de gestion existant, ainsi que de proposer des stratégies d’optimisation des captures, si une capture durable était jugée possible.

Les acteurs du secteur ont soulevé plusieurs questions concernant la stratégie de gestion appliquée au cours de la saison 2016, relevant notamment le nombre excessif (3 500) de permis délivrés, l’absence de plan de gestion ou de stratégies de capture, l’absence de transparence dans la fixation des quotas d’espèces et le choix des espèces pouvant être pêchées, cette même opacité dans le processus de sélection du titulaire de la licence unique d’exportation, ainsi que le manque de suivi des permis de pêche individuels. Afin d’y apporter une réponse, ils ont ensuite proposé plusieurs solutions, qui permettront d’orienter le plan de gestion de la ressource.

Discussion de groupe sur les questions de gestion pendant l’atelier réunissant les acteurs du secteur (crédit photo : Pauline Bosserelle).


Discussion de groupe sur les questions de gestion pendant l’atelier réunissant les acteurs du secteur (crédit photo : Pauline Bosserelle).

Et ensuite ?

Une fois l’étude et l’analyse des données terminées, la Division pêche, aquaculture et écosystèmes marins rédigera un rapport d’évaluation comprenant des recommandations de gestion. Les agents de la Division assureront également la coordination et la mise en œuvre d’une étude de la filière à l’échelle des États fédérés de Micronésie, qui sera réalisée dans le cadre du programme régional Pacific Oceanscape, géré par l’Agence des pêches du Forum. Elle visera à déterminer les moyens de contribuer à la réglementation de l’exploitation de cette ressource à l’échelon régional ou infrarégional.

Pour plus d’information :

  • Pauline Bosserelle, Ingénieur halieute, CPS, [email protected]
  • Navneel Singh, Auxiliaire océanien chargé de la gestion des ressources halieutiques, CPS, [email protected]
  • Ian Bertram, Chargé Scientifique de la gestion de la pêche côtière, CPS, [email protected]

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Federated States of Micronesia
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