Repenser la durabilité

Suva

Le jour du dépassement correspond à la date à laquelle la demande de l’humanité en ressources et en services écologiques au cours d’une année (par exemple, une eau propre, des sols fertiles, du poisson et des forêts) dépasse ce que la Terre peut naturellement produire au cours de cette même année. Ce déficit est accentué par l’accumulation de déchets, notamment le dioxyde de carbone dans l’atmosphère.  C’est en 1970 que nous avons consommé pour la première fois plus de ressources que la planète ne peut en produire naturellement. Le jour du dépassement se situait alors le 30 décembre. Cette année, malgré une économie mondiale au ralenti en raison des restrictions imposées par la pandémie de COVID-19, le jour du dépassement a eu lieu le 29 juillet. Cela signifie que nous utilisons les ressources de près de deux planètes chaque année, alors même que des secteurs tels que celui du transport aérien et une grande partie de l’industrie ont considérablement réduit leurs activités.

Selon moi, ce constat soulève des questions concernant l’objectif de durabilité pour l’agriculture, ou même le développement dans son ensemble, et concernant la signification concrète de ce terme. Pour faire simple, le développement durable peut être défini comme un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre ceux des générations futures. En pratique, on estime généralement qu’il s’agit de ne pas causer davantage de dégâts. Ainsi, il faudrait interrompre la déforestation, prévenir l’érosion des sols, préserver la biodiversité, protéger les sciences et les pratiques traditionnelles. Si on utilise comme indicateur le jour du dépassement, nous devons repenser notre définition du développement durable, car nous vivons sur une planète déjà considérablement dégradée, et ses ressources ne nous permettent pas de subvenir à nos besoins au rythme de consommation actuel. À l’évidence, interrompre, prévenir, protéger et maintenir aux niveaux actuels ne constituent pas des actions véritablement durables, car elles ne permettront pas de répondre aux besoins des générations futures.

On sait que si un système naturel détérioré est protégé des perturbations, il se régénère avec le temps. Toutefois, nous ne pouvons pas arrêter de consommer, nous devons continuer de vivre sur cette planète. Nous n’avons ni la possibilité ni le temps d’attendre qu’un processus de régénération naturel aboutisse. Nous devons activement créer des conditions dans lesquelles toutes les formes de vie peuvent se développer en veillant à la santé des communautés et en restaurant les fonctions écosystémiques et les ressources.

Le rapport spécial du GIEC sur le changement climatique et les terres émergées décrit les effets complexes sur le climat de l’exploitation des sols pour l’agriculture, les systèmes alimentaires et les forêts. Il met l’accent sur l’exploitation des sols, la possibilité de piéger le carbone dans les sols, ainsi que la nécessité de diversifier les systèmes agricoles et de modifier les systèmes alimentaires pour limiter les effets du changement climatique. Le rapport examine les effets de l’alimentation, mais plaide avant tout en faveur d’une réduction des déchets alimentaires. Dans les changements qu’il expose, le GIEC ne parle pas de développement durable mais de transformation. Il ne s’agit plus de mettre un terme à la disparition du carbone contenu dans les sols, mais d’y piéger le carbone grâce à l’amélioration des pratiques agricoles. Il ne faut plus seulement prévenir la perte de biodiversité, mais accroître celle-ci grâce aux systèmes agricoles. Il faut cesser de maintenir la consommation aux niveaux actuels pour la réduire grâce à une meilleure gestion et à une réduction des déchets alimentaires. Une attitude favorable à la transformation sera nécessaire pour que les politiques et les pratiques dans ce domaine deviennent une réalité.

En résumé, nous devons changer de philosophie pour passer de la durabilité à la régénération. Nous devons recréer les écosystèmes qui favorisent la vie sur Terre et nous permettent de rester réactifs, de nous adapter et de faire preuve de résilience face aux chocs, notamment ceux causés par le changement climatique.

Le secteur de l’agriculture nous offre un très bon exemple avec le développement de ce que l’on appelle « l’agriculture biologique régénérative ». Il s’agit de pratiques d’agriculture et d’élevage multifonctionnelles qui restaurent la matière organique des sols et y recréent la biodiversité perdue, ce qui permet notamment d’améliorer le cycle de l’eau et de réduire les pertes de carbone. Cette approche de la terre et de l’agriculture va au-delà du principe consistant à « ne pas nuire ». Grâce à des techniques qui régénèrent et revitalisent l’environnement pour produire des aliments de bonne qualité, riches en nutriments, tout en améliorant la qualité de la terre au lieu de la détériorer, ce système de production contribue en définitive à créer des exploitations plus productives ainsi que des communautés et des économies plus prospères. Si les études actuelles et l’adoption d’indicateurs sont essentiels, ce système s’appuie sur des décennies de recherche scientifique et appliquée dans les domaines de l’agriculture biologique, de l’agroécologie, de la gestion globale et de l’agroforesterie portant sur de nombreuses cultures et zones agricoles, notamment certains des plus longs essais en champ réalisés actuellement tels que l’essai du Rodale Institute sur les systèmes agricoles qui a démarré en 1981.

Pour que nos efforts en faveur d’une agriculture et d’un développement durables s’inscrivent véritablement dans la durée, nous devons les redéfinir pour nous rapprocher du mouvement de l’agriculture biologique régénérative. Si nous voulons une véritable durabilité, nous devons créer un nouveau modèle qui ne se contente pas de lutter contre les pertes et de limiter les détériorations futures, mais qui s’efforce de restaurer et de régénérer tous nos systèmes. Pour citer Buckminster Fuller, théoricien des systèmes, auteur et futuriste américain, « on ne change jamais les choses en luttant contre la réalité. Pour changer quelque chose, créez un nouveau modèle qui rendra l’ancien caduc. »  

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Ressources terrestres
Systèmes alimentaires

Auteur(s)

Karen Mapusua

Directrice de la Division ressources terrestres (Suva)
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