Renforcement des capacités en matière de stratégies d’exploitation : des avancées concrètes, mais des progrès restent à faire

Soucieux d’œuvrer à la gestion durable des ressources thonières du Pacifique occidental et central, les membres de la Commission des pêches du Pacifique occidental et central (WCPFC) ont convenu, en 2015, d’élaborer un plan de travail axé sur l’adoption de stra‑ tégies d’exploitation pour les stocks de bonite, de thon obèse, de thon jaune et de germon du sud du Pacifique occidental et central. Le renforcement des capacités est une composante essentielle de cette initiative, l’objectif étant de permettre aux parties prenantes d’être étroitement associées au pilotage du processus de développement, en adoptant des décisions clés en matière de gestion des res‑ sources halieutiques. La Communauté du Pacifique (CPS), prestataire de services scientifiques de la WCPFC, intervient depuis 2018 à l’appui des efforts déployés dans ce domaine, en dispensant une formation sur les stratégies d’exploitation dans le cadre d’ateliers régionaux et nationaux. Une enquête de suivi a été réalisée en 2023 afin de déterminer dans quelle mesure les participants aux ateliers utilisent concrètement les informations et les connaissances acquises dans le cadre de cette formation. Le présent article revient sur les principales conclusions tirées de cette enquête, sur les problèmes rencontrés après les ateliers et sur les raisons pour lesquelles les savoirs acquis dans le cadre de la formation ne sont pas nécessairement mis en pratique par la suite.

Gestion durable des ressources thonières : une stratégie d’exploitation, pourquoi faire ?

Les participants à l’atelier sur les stratégies d’exploitation organisé au Samoa prennent part à des exercices pratiques pour mieux comprendre le processus d’élaboration d’une stratégie d’exploitation.

La région du Pacifique occidental et central accueille l’une des plus grandes industries thonières du monde. La pêche thonière apporte une contribution majeure aux économies des États et Territoires insulaires du Pacifique, et une grande partie des po‑ pulations océaniennes en tirent leur subsistance. Malgré l’im‑ portance vitale du secteur, les régimes de gestion des pêcheries thonières semblent pour l’heure purement réactifs et assortis d’objectifs à court terme, ce qui met en péril la gestion durable de la filière.

Les carences relevées dans les régimes de gestion en vigueur mettent en évidence la nécessité d’instaurer sans tarder un système structuré reposant sur des lignes directrices claires et axé sur des objectifs à long terme tenant compte des besoins de toutes les parties prenantes. Consciente de l’urgence de la situation, la WCPFC privilégie désormais une nouvelle ap‑ proche axée sur l’élaboration de stratégies d’exploitation, afin d’améliorer la gestion des stocks de thons de la région. Une stratégie d’exploitation est un cadre formalisé préalablement convenu, destiné à éclairer la prise des décisions relatives à la gestion d’une pêcherie. L’idée est de s’écarter du processus dé‑ cisionnel ponctuel et à court terme qui prévaut actuellement, au profit d’une approche prospective s’inscrivant dans le plus long terme et visant des objectifs de gestion clairement définis. Cette démarche d’anticipation est indispensable si l’on veut apporter des solutions efficaces aux problèmes qui découlent de l’ampleur et de la complexité des opérations de pêche tho‑ nière industrielle dans la région, tout en garantissant le respect de pratiques durables et la répartition équitable des avantages entre les différentes parties concernées dans la région du Pacifique occidental et central.

Formation CPS sur les stratégies d’exploitation : approche retenue

Les activités axées sur la participation des parties prenantes et le renforcement des capacités sont une composante essentielle de l’adoption de stratégies d’exploitation. En effet, on attend des parties prenantes, à chacune des étapes du processus de développement, qu’elles montrent la voie à suivre, en prenant toutes sortes de décisions fondées sur des données et des informations scientifiques. Dans nombre de cas, ces décisions résultent d’un dialogue mutuel entre les scientifiques et les décideurs des pays insulaires océaniens.

La CPS s’emploie à faciliter le processus de renforcement des ca‑ pacités en organisant des ateliers nationaux de deux à trois jours permettant aux participants de se faire une idée globale de ce en quoi consiste l’approche axée sur les stratégies d’exploitation. Ces ateliers ont pour objectif de communiquer aux participants toutes les connaissances dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées tout au long du processus. Ils sont de surcroît l’occasion d’échanges précieux entre les parties prenantes.

Depuis 2018, la CPS a animé 18 ateliers sur les stratégies d’ex‑ ploitation. Au moins 400 personnes originaires de 12 pays (Îles Cook, États fédérés de Micronésie, Fidji, Polynésie française, Ki‑ ribati, Îles Marshall, Palau, Papouasie‑Nouvelle‑Guinée, Samoa, Îles Salomon, Tokelau et Tonga) ont déjà suivi cette formation. Certains ateliers nationaux et régionaux ont été organisés en col‑ laboration avec l’Agence des pêches du Forum des Îles du Paci‑ fique (FFA). Par ailleurs, en 2023, la Division pêche, aquaculture et écosystèmes marins (FAME) de la CPS a animé en ligne trois ateliers informels de deux heures destinés respectivement à la Po‑ lynésie française, à la Nouvelle‑Calédonie et à la Chine et consa‑ crés à des problématiques propres à chacun de ces pays.

L’organisation des ateliers sur les stratégies d’exploitation a contribué à une meilleure compréhension de cette approche dans les pays insulaires océaniens. Les ateliers ont notamment contribué à l’adoption de la procédure provisoire de gestion de la bonite, approuvée par la WCPFC à sa réunion de dé‑ cembre 2022. C’est la première fois qu’une stratégie d’exploi‑ tation est adoptée pour une pêcherie industrielle d’une telle importance. La décision de la WCPFC revêt une importance majeure dans la mesure où elle garantit l’exploitation durable du stock tout en contribuant à l’amélioration de la transpa‑ rence et de l’efficacité des mesures de gestion en vigueur.

Participants à l’atelier national sur les stratégies d’exploitation, organisé en ligne pour les Îles Salomon.
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Les participants de Nouvelle-Calédonie définissent leurs objectifs de gestion des ressources halieutiques lors de l’atelier sur les stratégies d’exploitation.
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Enquête de suivi : méthode utilisée

Compte tenu des efforts considérables déployés par la CPS pour renforcer la participation des membres à l’élaboration de stratégies d’exploitation, nous avons souhaité réaliser une enquête de suivi auprès des participants à la formation afin d’évaluer l’applicabilité des connaissances acquises sur les stra‑ tégies d’exploitation et de mieux cerner les difficultés rencon‑ trées dans l’utilisation de cette méthode de gestion des pêches. Les enquêtes de suivi sont réalisées un certain temps après les ateliers (six mois, voire un ou deux ans plus tard). Elles per‑ mettent de recueillir des données sur l’utilisation potentielle des connaissances acquises lors des ateliers de formation et sur l’évolution du contexte/de la situation après la formation.

Quatre ateliers de formation sur les stratégies d’exploitation ont été retenus aux fins de l’enquête (deux organisés en 2022 et deux en 2023), pour un total de 44 participants n’ayant suivi que l’une ou l’autre de ces formations. Trois des ateliers sélec‑ tionnés ont été organisés (en présentiel) à Brisbane, à Kiribati et au Samoa ; la quatrième formation a été dispensée en ligne à l’intention de participants de Polynésie française. La méthode d’enquête était double : la plupart des participants (82 %) ont été invités à répondre directement au questionnaire (enquête autoadministrée), tandis que les participants restants (18 %) ont été appelés au téléphone et guidés tout au long du question‑ naire (enquête assistée/guidée). L’enquête de suivi a démarré le 2 novembre 2023, et des rappels ont été envoyés aux répon‑ dants les 13 et 22 novembre 2023.

De l’acquisition à l’application des connaissances – le chaînon manquant

Les données recueillies à l’issue des enquêtes initiales ré‑ alisées dès la fin des ateliers, conformément à la pratique, on fait l’objet d’une analyse préliminaire. Ces enquêtes ont permis de recueillir les impressions à chaud des par‑ ticipants sur le contenu de la formation, l’amélioration de leurs connaissances, l’intérêt de la formation au regard de leurs besoins et leur niveau global de satisfaction.

Les participants de Nouvelle-Calédonie définissent leurs objectifs de gestion des ressources halieutiques lors de l’atelier sur les stratégies d’exploitation.

Au total, 48 % des participants ont répondu au questionnaire1. Leur appréciation à l’issue des ateliers était très largement po‑ sitive, comme c’est généralement le cas pour les activités de formation et de renforcement des capacités. Le contenu de la formation a obtenu en moyenne une note de 4,6 sur 5, tous les répondants ayant jugé la formation adaptée à leurs besoins pro‑ fessionnels. Ils étaient 95 % à estimer avoir acquis de nouvelles connaissances à l’issue des ateliers.

Or, les réponses à l’enquête de suivi reçues six mois ou plus après la formation tranchent avec l’évaluation positive qui ressort de l’enquête initiale. La CPS a reçu 16 réponses au questionnaire de l’enquête de suivi sur les stratégies d’exploitation, soit un taux de réponse de 36 % pour l’ensemble des ateliers sélectionnés2. Au total, 31 % seulement des participants ont indiqué avoir appliqué dans leur travail les connaissances acquises dans le cadre de la formation, soit un très net recul par rapport aux avis recueillis juste après la formation.

« Nos ministres privilégient avant tout les activités gé- nératrices de revenus, ce qui n’est pas compatible avec la préservation et la valorisation des ressources halieutiques. Cet enjeu est au cœur du débat en cours. » (Une participante du Samoa).

Il a été demandé aux participants de décrire les problèmes ren‑ contrés dans l’application concrète des connaissances acquises sur les stratégies d’exploitation. Ont notamment été cités dans les réponses :

  • l’absence de politiques et de réglementations visant à promouvoir l’utilisation des connaissances à l’échelle nationale dans le secteur des pêches ;
  • les arbitrages que les décideurs doivent opérer ;
  • l’absence d’objectifs à long terme ;
  • la compréhension insuffisante de l’importance des pratiques de gestion durable ; et
  • les caractéristiques propres à ce type de stratégie (complexité du modèle, validation, généralisation, incertitudes).

« La méconnaissance et le manque de compréhension des pratiques d’exploitation durables peuvent conduire à une utilisation non viable des ressources. L’éducation du public et les actions de sensibilisation sont des éléments essentiels de stratégies d’exploitation efficaces. » (Une participante de Kiribati).

Les répondants ont souligné que leur compréhension des stratégies d’exploitation s’était améliorée, mais les réponses relatives aux difficultés rencontrées semblent indiquer que ce n’est pas le cas pour tous les participants. Il est possible que, dans leur contexte professionnel, les répondants soient amenés à traiter avec des décideurs et des parties prenantes qui n’ont pas nécessairement la même compréhension de la question ou ne lui attribuent pas le même degré de priorité. Ce manque de connaissances n’est pas sans incidence sur l’impact potentiel de la formation et l’application concrète des connaissances ac‑ quises, une fois les ateliers terminés.

« Je pense que [la formation] présente un intérêt pédagogique pour tous les agents des services des pêches en exercice ou fraîchement recrutés, et permet de fournir des conseils techniques plus utiles aux décideurs ; car sans une bonne compréhension des aspects scientifiques des pêches, je ne vois pas comment il est possible de formuler des conseils avisés, sans lesquels on irait à l’encontre de l’objectif global à long terme du ministère. » (Une participante à la formation sur les stratégies d’exploitation organisée au Samoa.

Par ailleurs, près des trois quarts des répondants (73 %) ont in‑ diqué avoir eu des difficultés à suivre pendant les ateliers, du fait principalement du caractère technique des termes et des concepts utilisés, du manque de préparation, de la méconnais‑ sance du contexte et de la durée de la formation.

« La formation était trop courte. Il aurait fallu plus de temps pour comprendre les modèles techniques et scientifiques ainsi que le contenu de la stratégie d’exploitation. » (Une participante des Îles Salomon).

À l’issue de la formation, les animateurs ont distribué aux par‑ ticipants des supports pédagogiques supplémentaires, mais moins de la moitié des répondants (40 %) ont déclaré les avoir consultés par la suite. Pour apporter des solutions à ces diffi‑ cultés d’apprentissage, il faudrait, en prévision des prochaines formations, examiner en détail les supports pédagogiques à uti‑ liser avant, pendant et après les ateliers. Les animateurs pour‑ raient par ailleurs prendre contact avec les participants avant les ateliers, pour se faire une idée globale de leur profil et adapter en conséquence le niveau et le contenu de la formation. Même s’ils sont dans l’obligation d’utiliser des termes techniques, les formateurs pourraient dispenser la formation de manière plus ciblée aux agents des services des pêches occupant diverses fonctions au sein des ministères compétents, en adaptant les supports et les méthodes pédagogiques utilisés. Les supports pédagogiques distribués aux participants à l’issue des ateliers pourraient être moins théoriques, d’usage plus convivial et plus interactifs, de sorte que les participants soient plus enclins à les consulter après les ateliers. Les participants pourraient égale‑ ment être encouragés à prendre connaissance des supports dis‑ tribués (affiches, vidéos ou exposés), à donner leur avis et, le cas échéant, à poser des questions après les ateliers.

Principaux enseignements tirés de l’organisation et de l’évaluation des ateliers sur les stratégies d’exploitation

Les activités de renforcement des capacités et l’enquête de suivi ont livré des enseignements précieux qui permettront à l’équipe d’affiner ses stratégies de renforcement des capacités et de mettre en place des mécanismes de communication plus efficaces avec le public cible afin de promouvoir une meilleure utilisation et une application plus large des connaissances ac‑ quises dans le cadre de la formation. Les principaux enseigne‑ ments tirés sont présentés ci‑dessous, par thématique.

A) Organisation des ateliers de formation

  1. Il faut continuer à associer les formations de niveau régional et national.
  2. Les échanges bilatéraux avec les pays se sont avérés utiles ; ils ont permis de se faire une idée plus précise de la situation actuelle/du contexte propre à chaque pays, et de la nature de l’assistance requise à l’échelle natio‑ nale en matière de stratégie d’exploitation.
  3. Il convient de tirer le meilleur parti possible des avantages liés à l’émergence, lors des ateliers, d’ambassa‑ deurs et d’influenceurs motivés, prêts à défendre les pratiques préconisées.
  4. Le suivi est essentiel si l’on veut ancrer dans la durée la participation des pays.

B) Données collectées à l’issue de l’enquête

  1. La terminologie utilisée, le profil des participants, la durée, la date et le programme de la formation sont au‑ tant de points que l’équipe doit examiner dès le stade de la préparation, en s’appuyant sur les avis recueillis à l’issue des précédents ateliers.
  2. Il peut s’avérer nécessaire d’examiner le contexte et les conditions dans lesquels interviennent les décideurs responsables des stratégies d’exploitation et les équipes concernées, afin d’intégrer ces considérations à la pla‑ nification des ateliers.
  3. Moins de la moitié des participants consultent les supports pédagogiques qui leur sont distribués après la formation. On pourrait faire mieux, en veillant à ce que ces supports soient moins théoriques, d’usage plus convivial et plus interactifs, et fassent l’objet d’un suivi avec les participants.

C) Organisation d’une enquête de suivi

  1. es animateurs des ateliers de formation et les équipes chargées du suivi‑évaluation et de l’apprentissage (SE‑ A) doivent travailler en concertation plus étroite afin d’améliorer la collecte et l’exactitude des données.
  2. Il importe d’informer les participants, en cours de for‑ mation, de l’intérêt que la CPS porte à l’évaluation de l’impact à long terme des ateliers de formation, et de sa volonté de donner suite aux conclusions des enquêtes.
  3. Les enquêtes de suivi doivent être préparées en collaboration avec les animateurs des ateliers, de sorte que les questions relatives à l’application des connaissances puissent être adaptées en fonction des thématiques abordées dans la formation.
Graham Pilling discute de l’approche axée sur les stratégies d’exploitation avec des participants à l’atelier national de Papouasie-Nouvelle-Guinée.
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Les participants à l’atelier de renforcement des capacités en matière de stratégies d’exploitation, organisé à Kiribati.
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Pour plus d’informations
Laura Manrique, Chargée du suivi-évaluation et de l’apprentissage, CPS | [email protected]
Nan Yao, Chargée de recherche halieutique principale (Modélisatrice pour l’évaluation des stratégies de gestion), CPS | [email protected]

Télécharger la Lettre d'information sur les pêches n°172 : https://bit.ly/3TK4FZ6

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Pêche, Aquaculture et écosystèmes marins

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Fisheries, Aquaculture & Marine Ecosystems
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Tuna
Western and Central Pacific Ocean (WCPO)
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